EEEC - Espaces empiriques, espaces conceptuels

Axe Thématique : Sciences, Technologie et SHS

Ce projet a reçu un financement de l'appel à projets « Amorçage » en 2019.
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Coordinateur

Objectifs

Prenons au hasard une personne dotée d'une certaine culture scientifique et demandons-lui quelle discipline a pour objet d'étude l'espace ?  Il est à peu près certain que, pour résumer, nous aurons les réponses suivantes :

 
  • (1) L'espace est ce qui est étudié par les mathématiciens, en particulier par les géomètres et par les topologues, qui envisagent les formes d'espace sans distance préétablie et à déformation continue près : sont-ils ouverts, fermés, combien de bords ou de trous possèdent-ils ? Ont-ils même un bord (pensez à la surface, pourtant finie, d'une sphère) ? L'invention des géométries non euclidiennes au 19ième siècle, la classification de ces géométries via la notion de groupes de transformations sous l'impulsion de Felix Klein, la généralisation de la notion de géométrie intrinsèque à des espaces de dimensions quelconque et non homogènes par Riemann sont évidemment importantes. Une question intrigante est de savoir s'il y a plus qu'une métaphore lorsque le mathématicien d'aujourd'hui étend la notion d'espace à des ensembles de fonctions.

 
  • (2) L'espace est étudié par les psychologues : l'espace est ce que se représente un sujet qui perçoit les objets dans son monde environnant (en portant son attention sur un objet ou en le suivant à la trace quand il est en mouvement) pour y agir (en se déplaçant, en essayant de saisir un objet qui se trouve dans son champ visuel). Les sciences cognitives en particulier ont mené de remarquables recherches sur le sujet ces dernières années, aussi bien chez l'homme adulte et l'enfant que chez les animaux. La notion de « carte cognitive » a joué un rôle fondamental : les études de Tolman, dès les années 1940, puis celles de O'Keefe et Nadel dans les années 70 et enfin celles de Gallistel dans les années 90 ont mis en évidence le fait que les animaux s'orientaient dans l'espace en se formant une carte mentale de leur environnement. Les études de neurologie ont par ailleurs montré le rôle fondamental de l'hippocampe dans la formation de cette carte. Il existe des divergences importantes sur la façon de concevoir ces cartes, mais on peut noter d'emblée les liens, pour la cognition animale, entre l'approche de Gallistel et les mathématiques, puisque l'hypothèse de travail de Gallistel est que les cartes cognitives se construisent selon l'un des quatre modèles mathématiques suivants : euclidien, affine, projectif et topologique. 

 
  • (3) L'espace est ce qui est étudié par les physiciens : la théorie de la relativité spéciale, puis générale ont profondément changé la conception de l'espace (et du temps) (en substance celle de Newton) et a nourri en retour des réflexions mathématiques nouvelles sur sa nature. La cosmologie s'en est évidemment aussi trouvée changée. Cela a déjà fait l'objet de recherches avancées. Mais c'est du côté de la physique quantique que la notion d'espace a été le plus affectée. En 1989, le physicien Edward Witten a montré que l'on pouvait utiliser des formalismes physiques pour démontrer des propriétés subtiles, inaccessibles jusque-là aux mathématiciens, d'espaces (appelés « variétés ») de dimension 3 (utilisation de l'intégrale de chemin du physicien Feynman pour définir des invariants mathématiques des noeuds). Dans le même sens, des résultats mathématiques récents de Maxim Konsevitch ont été inspirés de la théorie des cordes et, en retour, permettent de mieux comprendre la structure de l'espace en physique quantique, où la notion de point est remplacée par celle de boucle. Cet aller-retour entre physique et mathématiques de l'espace demande à être investigué en profondeur.

 
  • (4) L'espace est l'objet de représentations par les trois disciplines précédemment citées, et ces représentations ont une histoire. L'historien des sciences participe donc à une meilleure compréhension de la notion d'espace en en dévoilant l'origine. Par exemple, un lieu commun de l'histoire des mathématiques est d'affirmer que la géométrie des Anciens, celle d'Euclide, est une étude des figures dont on essaie de déterminer les propriétés, alors que la géométrie des Modernes n'est plus l'étude des figures, mais de l'espace lui-même dans lequel ces figures résident, qu'on définit par une axiomatique (il y aura donc autant d'espaces que d'axiomatiques). Ce lieu commun demande à être revisité, au regard des développements modernes de la géométrie, par exemple des géométries finies, qui peuvent figurer des espaces sous forme de diagrammes.

Réalisations


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Mis à jour le 07 janvier 2022.